Pourquoi fouiller ce site ?

Historique des découvertes

Localisation du site du Rozel (Carte IGN).

Le site du Pou au Rozel a été signalé à la Direction des Antiquités Préhistoriques de Normandie dès 1967 par Yves Roupin, un amateur d’archéologie qui prospectait sur le nord du Cotentin. Cette découverte est le fruit de l’érosion littorale qui ronge le massif dunaire du Rozel. Cette dune de sable accumulé par le vent durant le début du dernier Glaciaire (entre 115 et 70 000 ans) a été occupée à plusieurs reprises par les hommes préhistoriques qui ont vécu sur des sols végétalisés et laissé les vestiges de leurs activités.

Massif dunaire face à l’abri sous-roche au moment de la découverte du site du fait de l’érosion littorale (© Y. Roupin).

Ce sont ces derniers qui ont été reconnus par Yves Roupin au niveau d’un petit abri en front de falaise de schiste et qui a livré des silex et des quartz taillés, des ossements de mammifères consommés par les préhistoriques et au moins un foyer comportant encore son remplissage cendreux en coupe.

L’intérêt des découvertes amène la Direction des Antiquités préhistoriques à engager, entre 1969 et 1971, un sondage de reconnaissance, puis une brève fouille de sauvetage sous la responsabilité de Frédéric Scuvée, « correspondant » local.

Représentation du site de l’abri sous-roche lors de l’opération de fouille conduite par F Scuvée (© Scuvée).

Ces investigations confirment l’intérêt du site du fait de l’exceptionnel état de conservation de la faune, des structures de combustion et surtout de la présence de silex taillés présentant une technologie originale jusqu’alors uniquement associée aux productions de l’homme moderne (Homo sapiens, le fameux homme de Cro-Magnon) associée à une production d’éclats Levallois beaucoup plus conventionnels dans les industries moustériennes.

Frédéric Scuvée et Jean Vérague publient une monographie sur cette découverte intitulée « Paléolithique supérieur en Normandie occidentale : l’abri sous-roche de la pointe du Rozel (Manche) » (1984), attribution contestée tant par le contexte chronostratigraphique par Brigitte Van-Vliet-Lanoë (1988) que par l’étude typo-technologique par Dominique Cliquet (1994), ce qui a motivé une révision du site.

La documentation ancienne a été révisée : faune (Patrick Auguste), mollusques (David Keen), contexte chronostratigraphique (Brigitte Van Vliet-Lanoë), complétée par une série de datations radionumériques par luminescence optique sur sédiment (Élise Folz, Norbert Mercier). Les résultats de cette nouvelle étude ont démontré que le site se rapportait bien au début du début du Dernier Glaciaire et été attribué au Paléolithique moyen, la dune s’étant formée entre 115 000 et 70 000 ans.

Pourquoi reprendre l’étude du site ?

Vue du Cap du Rozel (© L. Jeanne).

Le plus spectaculaire est inhérent à la remontée du niveau marin qui se traduit par la sape de la base de la dune et par conséquent de son recul.

• Un autre phénomène, insidieux et sans doute le plus dévastateur est dû au démantèlement des formations superficielles du Pléniglaciaire (les heads).

Ces dernières se trouvent « déchaussées » par l’action du vent qui dessèche le sable immédiatement sous-jacent et « mine » la base des heads qui par gravité tombent et glissent sur la dune en l’érodant fortement. Dans l’ancienne crique façonnée par la mer eemienne, ce phénomène a complétement détruit le niveau d’occupation sommital incorporé aux sables roux dont un seul lambeau a été reconnu en place du fait qu’il reposait sur la falaise de schiste.

• Enfin, le dernier phénomène qui affecte la dune weichselienne du Rozel par le piétinement. En effet très fréquemment la dune est escaladée par les curieux et par l es prospecteurs. Le sable qui constitue la dune étant complètement meuble, comme le sable qui forme la dune actuelle.

Vue du massif dunaire lors d’une opération de datations radionumériques (© D. Cliquet, MC).

La conjugaison de ces phénomènes a participé à la disparition d’environ 750 à 1 000 m² de site archéologique entre 2006 et 2012. Cette destruction inéluctable a motivé la mise en place de mesures conservatoires de la part de la Direction régionale des Affaires culturelles de Normandie (Service régional de l’Archéologie) en partenariat avec le Conservatoire du littoral, sous la forme d’une fouille pluriannuelle.

Un site fragile

Le site du Rozel est un gisement fragile à plus d’un titre.

• Le principal danger encouru par le gisement et la plus spectaculaire est lié à la remontée du niveau marin qui se traduit par une sape de la base de la dune et par conséquent de son recul.

Le pied de dune du Rozel a fortement été affecté par la dynamique littorale, principalement pendant la succession d’épisodes de tempêtes particulièrement destructeurs du fait de l’orientation des vents portants (sud-sud-ouest) et des importants coefficients de marée (115 en mars 2013). Les marées des 31 décembre 2013 et 1er janvier 2014 ont emporté outre les clôtures, une trentaine de mètres carrés de site qui incorporaient plusieurs niveaux d’occupation interstratifiés.

Ces destructions spectaculaires ont nécessité la mise en place dans l’urgence d’une protection pour la durée des fouilles de la base de la paléodune en concertation avec le Conservatoire du littoral et la Direction Départementale des Territoires et de la Mer. Un enrochement a été adossé sur le pied de dune après mise en place de deux couches de géotextile séparée par un « matelas » de sable destiné à empêcher le poinçonnement et par un effet chasse d’eau le lavage des sédiments fins en arrière du parement de blocs de grès. Cette protection s’est avérée efficace mais a fortement été affectée par les coups de boutoir de la mer ; elle nécessite régulièrement une remise en état.

Enrochement mis en place à la base du site pour le protéger pendant la durée des fouilles (© D. Cliquet, MC).

Par ailleurs, soulignons l’investissement constant de certains membres de l’équipe : Jacques Richard, Jean Guériel, Gilles Laisné, Monique Oden…, pour l’entretien et la protection du site. Qu’ils soient ici remerciés.

En effet, les clôtures doivent être régulièrement entretenues et surtout les « voiles » géotextiles qui permettent le maintien le massif dunaire non encore fouillé. Ces derniers s’altèrent rapidement du fait de leur exposition aux intempéries, aux rayons ultra-violets et aux embruns.

Enfin, notons la grande réactivité de la DDTM, pour délivrer au Service régional de l’Archéologie les autorisations nécessaires pour pouvoir intervenir sur l’estran lors des déstructurations récurrentes de l’enrochement de protection du site.

Le sauvetage d’un site menacé : travaux de fouille et de post-fouille

La reprise des investigations sur le site du Rozel a été dictée par la reprise de l’intensité de l’érosion littorale sur le massif dunaire de Le Rozel – Surtainville.

Des méthodes de fouille peu orthodoxes

Terrassement de la partie supérieure de la dune préalablement aux travaux de fouille (© D. Cliquet, MC).

Les méthodes de fouille mise en œuvre sur le site du Rozel correspondent à une adaptation de la méthodologie à la nature du site qui est constitué principalement de sable. L’approche des niveaux archéologiques conservant les vestiges en position primaire s’est faite en décapage à la pelle mécanique ; méthode couramment employée dans le cadre de l’archéologie préventive, mais créant des « parois » constituées de sable qui étaient aussitôt affectées par les agents atmosphériques, le vent et la pluie.

Le massif dunaire est affecté par les agents atmosphériques : la pluie et le vent (© D. Cliquet, MC).

Cependant, la poursuite de la fouille du site imposait de trouver des solutions durables à deux problèmes majeurs : le maintien des parois de la partie excavée et la circulation des fouilleurs sur les sols archéologiques.

Vue générale du site protégé de bâches, de géotextiles et de boudins remplis de sable (© G. Laisné).

Ce constat nous a amené à « emballer » les parties subsistantes de la dune afin d’en assurer la pérennité. Le terrassement des niveaux stériles achevé, truelles, balayettes et pinceaux se sont substitué aux pelles mécaniques, les sols les plus fragiles nécessitant le recours aux pinceaux à gouache ou à maquillage.

Après plusieurs essais peu convaincants, nous avons opté pour l’utilisation de « boudins » remplis de sable pour circuler et aménager quelques plates-formes de travail. Ces sacs épousent la morphologie du niveau archéologique sur lequel ils sont déposés sans le déstructurer. Ce dispositif a été complété par l’utilisation de tapis en mousse individuels permettant aux fouilleurs de s’installer directement sur les sols archéologiques boueux pour en effectuer la fouille.

Enfin, les boudins de sable sont systématiquement utilisés pour « plaquer » les géotextiles sur le massif dunaire, évitant la circulation du vent entre le tissu et le sédiment, et, favorisant la conservation d’une certaine humidité du sable.