Des expérimentations pour tenter de mieux comprendre les modes de vie des chasseurs-collecteurs du Rozel
Plusieurs thématiques ont retenu notre attention et ont nécessité le recours à l’expérimentation :
- La fracturation des os longs d’herbivores ;
- La fonction des foyers allumés par les préhistoriques au sein des aires de travaux de boucherie ;
- L’analyse des empreintes et des poinçonnements des sols archéologiques.
En effet, parallèlement aux travaux de fouille diverses expérimentations ont été conduites :
La fracturation des os longs
Contrairement à beaucoup de sites du Massif armoricain normand, le site du Rozel a livré de nombreux vestiges de faune. En effet, l’acidité des sols n’ont que rarement permis la conservation du matériel osseux, ou alors dans des contextes particuliers : site submergé de Fermanville, dépression karstique d’Orval et bien entendu, la dune du Rozel.
Sur ce site, les travaux anciens avaient révélé la présence de vestiges de faune consommée, comme en attestent les os présentant des fractures hélicoïdales caractéristiques de la récupération de moelle.

Sur les sols supérieurs, ce sont principalement des os longs de cerfs qui ont été fracturés, secondairement des os de chevaux et d’aurochs. Certaines esquilles osseuses de forte épaisseur suggéraient plutôt la pratique d’une percussion lancée, l’os était frappé sur l’angle de l’enclume de pierre, plutôt qu’une fragmentation classique, l’os à plat sur l’enclume et fragmenté à l’aide d’un galet ou d’un bloc de pierre. Au Rozel, les deux procédés semblent avoir été utilisés.
La fonction des foyers
Les expérimentations portant sur les structures de combustion visaient à tenter de répondre à plusieurs questionnements :
- Comprendre les problèmes de conservation des vestiges de foyers ;
- Tenter d’appréhender les sélections de combustibles dans certains foyers ;
- Tenter de caractériser les matières traitées par le feu (cuisson directe et/ou indirecte) et fumage des peaux et des viandes.

En d’autres termes, pourquoi des foyers et pour quoi faire ?
Certaines de ces interrogations avaient été soulevées lors des fouilles effectuées dans deux sites structurés du Nord Cotentin, à Saint-Germain-des-Vaux / Port-Racine et à Saint-Vaast-la-Hougue / Le Fort. Sur ces deux sites, des espaces de vie comportant des foyers domestiques avaient été reconnus et des aires dédiées à une activité liée au feu, à l’écart des habitats.
Il avait été constaté que dans les foyers domestiques, tous types de bois végétal avaient été utilisés pour alimenter les feux, alors que dans les secteurs périphériques, riches en structures de combustion, le combustible semblait avoir été sélectionné. En effet, le pin sylvestre était majoritaire, voire exclusif.
À l’occasion des observations faites sur le site du Rozel, cette même dichotomie a été observée. Il reste donc à tenter de comprendre pourquoi les Préhistoriques ont pour certaines activités utilisé presqu’exclusivement le pin sylvestre, et à quelles fins ?
Pour ce qui est de l’état de conservation des structures :
En 2013, la fouille a révélé sur le sol D3-2 plusieurs structures de combustion, notamment un foyer dont seule la « couronne » rubéfiée subsistait. Une expérimentation conduite à l’automne 2013, avec l’autorisation du SyMEL (et la participation de Yann Mouchel) sur le massif dunaire actuel a confirmé nos hypothèses, à savoir que la combustion dans la partie centrale du foyer avait détruit complètement le système racinaire des espèces végétales sur lesquelles le foyer avait été implanté. Ensuite, le vent a emporté cendres et racines brûlées mettant à nu le sable sous-jacent.


Pour ce qui est de la sélection du combustible et de la (ou des) fonction(s) de ces foyers :

En 2017, un second volet expérimental a été développé autour de la fonction et de l’utilisation des foyers (expérimentations Dominique Cliquet, Gilles Laisné et Nicolas Garnier), certaines molécules rencontrées dans les remplissages de foyers n’étant pas identifiées. Les analyses des composés lipidiques sont en cours (analyses N. Garnier).

Apports de l’expérimentation à l’étude des empreintes fossiles
Bien avant la reprise des fouilles sur le site du Rozel, un travail d’observation et d’inventaire photographique d’empreintes humaines récentes sur des sols dunaires et littoraux a été initié par Gilles Laisné. Il permet d’envisager une meilleure compréhension des processus d’impression, d’évolution, de conservation des traces anciennes. En effet ces observations montrent dans le cadre de pistes que chaque poinçonnement de pied est spécifique en fonction de la dynamique de l’individu (allure de locomotion) de la nature et de l’humidité du substrat, de la topographie et des éventuels obstacles naturels rencontrés sur le parcours. Ce constat prouve que pour chaque empreinte fossile, il convient de faire une étude taphonomique prenant en compte tous ces paramètres et d’en affiner l’interprétation.



Certaines empreintes mises au jour sur le site du Rozel, par leur morphologie interroge sur la présence d’empreintes de « pieds chaussés », ou plus vraisemblablement de « pieds emballés ». Cependant l’utilisation de peaux fines montre que selon la nature du substrat, les caractères anatomiques (orteils, bourrelet compris entre les orteils et la voute plantaire) sont aussi bien poinçonnés qu’avec un pied nu !

D’autres expériences sont programmées.
Enfin, en 2017, parallèlement aux travaux de fouille, un volet expérimental a été initié par Jérémy Duveau, (doctorant au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris) visant à étudier deux aspects différents des traces de pas. Le premier, analyse la variabilité morphologique des empreintes expérimentales dans les conditions de dépôt se rapprochant de celle du site du Rozel pour différents types de démarche (marche lente, marche rapide, course), le second est consacré à l’évolution taphonomique de ces traces expérimentales (suivi des poinçonnements dans le temps court).
Ce volet expérimental constitue une des parties de la thèse que Jérémy Duveau doit achever pour la fin 2019.